Manipulation du vivant
La maîtrise de l’énergie nucléaire a posé le problème du bien et du mal là où l’on attendait le moins, au cœur de la réussite technique, source de tant de satisfactions, de tant d’orgueil. La mise en garde est claire : l’humanité doit d’abord se méfier d’elle-même.
Ce constat s’impose dans le domaine où les découvertes ont le plus transformé notre regard, celui des sciences dites « de la vie ».
L’enjeu est de première importance. En découvrant la molécule d’ADN, les chercheurs non pas seulement élucidé un problème qui semblait toujours mystérieux, celui de la « vie »; ils ont montré que ce qui donne leurs pouvoirs aux êtres vivants repose sur des mécanismes chimiques très ordinaires, et par conséquent modifiables. Le mystère a disparu. Modifier une bactérie n’est pas plus un viol de la nature que réaliser la synthèse d’une nouvelle molécule chimique ou que traiter du minerai pour obtenir de l’acier.
Un exemple clair est fourni par les projets de modification génétique des céréales nécessaires à l’alimentation de milliards d’humains. De grandes sociétés agroalimentaires supranationales ont mis au point de nouvelles espèces en introduisant dans leur dotation génétique des gènes qui leur permettent de résister à certains vecteurs de maladies. Il n’est plus nécessaire de répandre des pesticides, coûteux et polluants ; le coût de production est abaissé ; tout, si l’on croit ces entreprises, est pour le mieux. Cependant, de multiples interrogations restent sans réponse à propos d’éventuels dangers. Comment arbitrer entre des avantages réels mais limités et des dangers non prouvés mais éventuellement considérables?
Albert Jacquard, « A toi qui n’est pas encore né(e) » Calmann Lévy (page 26)
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