2. Concepts et méthodes de l’économie
Quels que soient sa définition et son champ d’application, l’économie manipule un petit nombre
de concepts et construit des modèles pour analyser son objet.
2.1. Concepts de base
De manière générale, toute théorie économique manipule des concepts de base qui définissent :
− Des objets économiques : les constituants de la richesse matérielle et des moyens de la créer
et de la faire circuler : marchandises, biens, travail, monnaies, titres, informations.
− Des actes économiques : production, échange, consommation, épargne, par lesquels se
créent, circulent et sont détruits les objets économiques.
− Des acteurs économiques, ce sont des sujets, individuels ou collectifs, qui commettent les
actes économiques en manipulant les objets économiques. Les acteurs se caractérisent par
leur comportement à l’égard des objets économiques.
Voyons cela plus en détail.
2.1.1. Objets économiques
Les objets économiques sont les constituants de la richesse dont nous avons emprunté la
définition à Smith : : « l’étendue des nécessités, des commodités et des agréments de la vie
humaine dont un homme peut jouir », ainsi que les moyens de la créer et de la faire circuler.
Les marchandises
Il faut tout d’abord distinguer, parmi les objets économiques, celles qui sont des marchandises
et les autres.
Est une marchandise tout objet économique appropriable, c’est-à-dire sur lequel existe un droit
de propriété privé. Ce droit permet à son détenteur d’interdire à tout autre l’usage de cet objet.
Ce droit est aliénable. Il peut être transféré, en échange d’un droit sur un autre objet, par
exemple. Une marchandise est donc échangeable. Dans une économie monétaire (cf. la
définition de la monnaie ci-dessous) une marchandise est toujours échangeable contre de la
monnaie et a donc un prix.
L’air, les océans, sont des ressources naturelles qui entrent incontestablement dans le processus
de création de certains éléments de la richesse et sont donc des objets économiques, mais ils ne
sont pas appropriés. La protection contre des agressions fait partie des objets économiques.
Quand il s’agit de la défense nationale telle qu’elle est actuellement organisée, elle n’est pas
appropriable et n’est pas une marchandise. La protection spéciale d’un immeuble ou d’un
individu est une marchandise si elle est assurée par une société privée contre de la monnaie, elle ne l’est pas si elle est assurée par la police nationale. Le stock des connaissances scientifiques
est un incontestable objet économique, mais il n’est pas appropriable, sauf les inventions
protégées par des brevets. L’action des forces armées ou de la police, les connaissances
scientifiques, l’air et les océans, sont des "biens publics", non appropriables. Ils posent des
problèmes particuliers, que nous analyserons dans le chapitre 9.
L’extension de la sphère des marchandises est variable selon les sociétés et dans le temps. Un
individu en tant que tel n’est plus une marchandise, mais l’était dans les sociétés esclavagistes.
Les organes humains (gènes, cellules, embryons, etc. compris) ne sont pas encore des
marchandises, mais commencent pour certains à le devenir. D’une manière très générale, le
développement des sociétés capitalistes engendre une extension de la sphère de la marchandise,
une « marchandisation » du monde, que beaucoup critiquent au nom de ce que « tout n’est pas à
vendre ».
Les biens et les services
Les biens sont les artefacts constituant la richesse et ou permettant de la créer. En pratique, on
utilise souvent la notion : « biens et services ». Mais la notion de service est en réalité très mal
fondée et recouvre des objets économiques très hétérogènes. Simple combinaison d’artefacts
vendus ensemble : un repas au restaurant, une semaine dans un club de vacances ; déplacement
dans l’espace d’artefacts : transport, commerce ; formes particulières d’usage d’une force de
travail (cf. ci-dessous) : consultations diverses, ménage, etc.
Les ressources naturelles
Tout artefact est issu de ressources naturelles qui fournissent matière et énergie. La terre étant
un objet à dimensions limitées, toutes les ressources naturelles sont, d’une façon ou d’une autre
"épuisables". Toute production matérielle dégrade l’énergie qu’elle utilise (second principe de la
thermodynamique) et produit des déchets. La capacité d’absorption de ces déchets par les
écosystèmes doit être considérée comme une ressource naturelle, également limitée. Les
ressources naturelles peuvent être appropriées ou pas. Une terre agricole, un gisement de
pétrole, une source d’eau, peuvent être et sont généralement appropriés. Ce sont alors des
marchandises. Mais un grand nombre de ressources naturelles soit pourraient, techniquement,
être appropriées, mais ne le sont pas, soit ne peuvent pas l’être. Dans les deux cas, elles sont
donc d’accès libre. Ceci peut évidemment poser des problèmes puisqu’elles sont épuisables, et
justifie des interventions spécifiques des Etats.
Les monnaies
Une monnaie est un objet économique dont la forme matérielle peut être diverse : pièces d’or ou
d’argent (frappées par le prince), billets de banque, comptes courants bancaires. Sa définition est, dans un espace géographique donné, d’être unanimement acceptée en échange de tout autre
objet économique. C’est donc un "équivalent général" de tous les autres objets. Pour qu’elle
puisse remplir son rôle d’équivalent général et être acceptée par tous contre tout objet, il faut
certaines conditions, qui peuvent se résumer en une phrase : les acteurs doivent avoir
"confiance" dans une monnaie. La monnaie est elle-même produite, nous verrons comment, et
comment peut s’entretenir la confiance en elle. Disons simplement ici qu’il n’y a pas de
monnaie sans Etat. Dans le monde, différentes monnaies existent, qui ne sont pas toutes
acceptées dans tous les espaces géographiques. Ces différentes monnaies peuvent s’échanger
entre elles. Le prix d’une monnaie dans une autre est son "taux de change" avec cette monnaie.
Les forces de travail
Il s’agit des capacités, autrement dit des compétences, savoir, savoir-faire, acquises par des
hommes et utilisables par eux pour produire et faire circuler les objets économiques. Dans une
société d’hommes juridiquement libres, la « force de travail » (le terme est de Marx) est
appropriable : chacun est en effet l’unique propriétaire de sa force de travail, ce qui n’était pas le
cas des esclaves, ni même des serfs dans le féodalisme, qui n’étaient que très partiellement
propriétaires de leur force de travail. Elle peut donc être utilisée par chacun pour son propre
compte, mais elle peut aussi être aliénée, c’est-à-dire mise à disposition d’un autre en échange
de monnaie. Dans ce cas, elle devient une marchandise. Mais c’est une marchandise très
particulière : il est essentiel de comprendre que ce qui est ainsi aliéné, par exemple dans le cadre
d’un contrat de travail salarié, est l’usage d’une force de travail et non "du travail". En dehors
du travail salarié classique (CDI entre un individu et une entreprise), il existe une grande variété
de formes contractuelles par lesquelles des individus vendent leur force de travail ou, si l’on
préfère, le droit d’usage de leurs compétences.
Les titres
Défini de manière très générale, un titre est une promesse, faite par V, celui qui vend le titre,
à A, celui qui l’achète avec de la monnaie, de procurer à A de la monnaie dans l’avenir.
La monnaie dont il dispose, A pourrait l’utiliser à acheter immédiatement des biens et services
et à en jouir. S’il y renonce en donnant cette monnaie à V en échange d’un titre, A exigera un
avantage pour compenser cette renonciation à une jouissance immédiate :
− soit le reversement ultérieur, à une échéance fixée, de la somme donnée, mais augmentée
d’un "intérêt". La somme initiale a donc dans ce cas été « prêtée »par A, « empruntée » par
V. Le titre est un titre de dette .
Un exemple de ce type de titre est une obligation. V peut, par exemple, émettre une obligation
de 1 000 F, à dix ans, à taux d’intérêt fixe de 10 %. A achètera cette obligation en versant 1 000