Algérie - France : Flou et spéculations sur le projet de l'usine Renault
]Le 1er ministre ne semble pas prendre au sérieux la loi-cadre que le constructeur automobile français Renault affirme avoir signée avec l'Algérie pour la création d'une usine tant le ton qu'il avait employé pour en parler frôlait la dérision.
« Paraît-il, Renault a signé une loi-cadre, ce n'est pas l'usine qui dérange mais ce sont les 51/49 (…). D'ailleurs, Ouyahia avait parlé d'un mémorandum et non d'une loi-cadre. Et c'est sur un ton ironique que le 1er ministre avait abordé cet accord, mais que pour dénoncer les pressions que «certains Algériens» exercent sur le gouvernement pour supprimer la disposition relative au partage du capital d'un investissement étranger. Ahmed Ouyahia l'a fait samedi au cours de la conférence de presse qu'il a animée au siège de son parti, le RND.
Le projet Renault refait ainsi surface sur la scène nationale, mais sans qu'il lui soit livré les indices nécessaires pour connaître l'exactitude de ses tenants et aboutissants et surtout savoir s'il a ou non véritablement une faisabilité effective sur le terrain. Les responsables de la marque française ont annoncé la semaine dernière, la signature d'une loi-cadre avec l'Algérie, mais en apportant la grosse précision que «les deux parties se sont entendues pour ne pas communiquer sur le dossier.»
Si l'on doit supputer sur cette formule de communication de laisser dans le flou un projet, qui pourtant, s'il arrive à voir le jour ; scellera de nouvelles relations de travail entre l'Algérie et la France, l'on s'arrêterait sans conteste au niveau du «paraît-il» employé par le 1er ministre. Il faut admettre qu'Ouyahia a ainsi entremêlé la déclaration du constructeur français à un doute officiel algérien. Ouyahia n'était pas obligé de «faire semblant», de ne pas savoir exactement de quoi il s'en retourne sur un sujet, maintes fois commenté avec ferveur par son ministre de l'industrie. Il y a près d'une année, des responsables français nous avaient d'ailleurs affirmé qu'ils étaient étonnés de voir Mohamed Benmeradi, se réjouir de la faisabilité d'un projet qui n'a même pas été décidé dans la forme.
«Il serait illusoire de croire que Renault va construire une usine en Algérie après qu'il l'ait fait à Tanger, au Maroc,» affirment des sources proches du 1er Ministère. Nos interlocuteurs préfèrent s'appuyer sur une règle économique bien connue pour étayer leurs propos. «Les hommes d'affaires calculent beaucoup avant de lancer un projet, il est donc difficile d'admettre qu'après qu'il ait investi plus d'un milliard d'euros pour mettre sur pied son usine à Tanger, Renault va débourser autant pour en faire une deuxième en Algérie. C'est-à-dire peu de temps après, à peine une année, et à une telle proximité,» nous dit-on.
«RENAULT VEUT VENDRE DU REVE»
Les commentaires vont même très loin. Alors à quoi sert cette loi-cadre dont il est question ? demandons-nous. «Renault veut vendre du rêve et il le fera jusqu'à ce que son usine de Tanger commence à produire, ceci pour ne pas laisser l'Algérie réfléchir à un autre partenaire que lui,» répondent nos sources. L'on reproche d'ailleurs à ce titre au gouvernement de faire croire qu'il négocie avec la firme allemande Volkswagen pour la conclusion d'un accord pour la réalisation d'un projet d'usine aussi important, que celui qu'il tente d'arracher à Renault. «Le gouvernement sait que le constructeur français fait dans le bas de gamme, c'est-à-dire des véhicules qui intéresseraient plus de 40% d'Algériens, donc il a un marché bien réel, par contre Volkswagen fait dans le moyen et haut de gamme, s'il a un marché algérien, il est bien restreint par rapport à celui de Renault pour la simple raison que la voiture allemande coûte plus cher,» expliquent nos sources. L'on s'interroge alors pourquoi les responsables algériens, n'expliquent-ils pas publiquement ce qu'il en est de cette loi cadre dont parle Renault. «Tout le monde sait qu'un grand nombre de responsables algériens gèrent des intérêts français en Algérie et veulent comme Renault que les Algériens croient en ce projet, ils vendent alors aussi du rêve pour maintenir les esprits en attente indéfinie,» nous dit un haut fonctionnaire de la présidence de la république qui se demande d'ailleurs ; «pourquoi entretenir autant de flou autour de ce projet, ce n'est pourtant pas du nucléaire ?».
Il est rappelé que Renault continue de poser des conditions drastiques aux autorités algériennes à propos de la création de son usine. «Son refus de l'implanter dans la zone de Djenjen est catégorique, il ne faut pas se faire d'illusion, à moins que les Algériens se rétractent complètement, oublient cette histoire d'intégration dans la fabrication des véhicules, laissent le constructeur français faire ce qu'il veut et même bénéficier d'avantages fiscaux qu'il réclame alors que personne ne l'a fait avant lui,» indiquent nos sources.
Des responsables algériens s'interrogent sur ce qui empêcherait «le gouvernement de réfléchir à négocier avec des firmes asiatiques pour la construction d'une usine de voitures, que les Algériens trouvent depuis les dix dernières années, confortables du point de vue du modèle et aussi du prix.» Pourquoi n'a-t-il pas pensé à le faire à ce jour ? interrogeons-nous. «Il faudrait que certains de nos responsables échappent aux griffes des Français pour pouvoir le faire,» nous répond un haut responsable. Ce n'est pas la première fois qu'il est question de dénoncer une telle compromission entre Algériens et Français.
Zohra Drif Bitat, moudjahida et membre du Conseil de la nation pour le compte du tiers présidentiel l'a évoqué en mars dernier, dans plusieurs médias nationaux y compris la radio publique. «La France a laissé ses hommes pour lui préserver ses intérêts en Algérie,» avait-elle affirmé à propos de certains responsables algériens dans d'importantes institutions publiques.
Source : le quotidien d’Oran